Jean-Baptiste Monge artiste, dessinateur, peintre et sculpteur

Il enchante petits et grands depuis plusieurs décennies avec ses images de lutins, gnomes, fées, dragons et autres personnages merveilleux. Né sur les terres bretonnes propices à l’enchantement, il en imprègne très tôt les légendes, rêvant si fort d’en croiser les personnages imaginaires qu’il lui sera aisé de les dessiner, le moment venu. Après avoir puisé son inspiration sur ses terres d’origine, puis au Canada, le voici en Alsace, avec son épouse Margo et leurs chats.

Jean-Baptiste Monge draws a little gnome in his workshop in Alsace. Jean-Baptiste Monge dessine un petit gnome dans son atelier en Alsace. © Corinne Longhi © D’Alsace et d’ailleurs

Jean-Baptiste me reçoit dans une adorable petite maison alsacienne à pans de bois par un après-midi de début janvier, sous un ciel de grisaille. Sitôt passé le seuil, une douce chaleur m’enveloppe. Dans le petit salon-salle à manger, le sapin de Noël tient plus de place que le poêle à bois. De courts rideaux à carreaux rouges et blancs encadrent les petites fenêtres. Un coffre, une petite bibliothèque, deux fauteuils et la table de salle à manger se serrent tout autour. Posées partout, des créations de Jean-Baptiste : bison, dindon, loutre en bronze ponctuées de figurines de Père Noël, Astérix et Obélix ou de gnomes. En hauteur, des tableaux de chouette, oiseau, renard et chat. L’ambiance est cosy. Je me pelotonnerais volontiers dans un fauteuil, à côté des chats.

Sculpture of a bison in bronze made by Jean-Baptiste Monge and exposed in his salon in Alsace. Sculpture d’un bison en bronze faite par Jean-Baptiste Monge et exposée dans son salon en Alsace. © Corinne Longhi © D’Alsace et d’ailleurs

Au foyer

La famille de mon père vient du sud de la France et de la Normandie. Il était un amoureux de cœur de la Bretagne. 

Mon père ne s’intéressait qu’au militaria ; l’Histoire, une histoire, mais pas de celles qui m’intéressent. Il y en avait partout sur les murs, on était environné par l’armée, la guerre, la mort. Mon père ne parlait que de ça.

Mes racines celtes sont bretonnes par ma mère née Marzin-Calvez. Marzin, ça veut dire Merlin et Calvez, charpentier. De belles racines légendaires. Elle dessinait un petit peu, elle aurait aimé en faire son métier mais cela ne s’est pas fait. Maman me berçait avec des contes. Elle en écrivait, parlant de la Lune et de lutins coiffés de chapeaux un peu pointus. Je pense qu’elle retranscrivait ceux qu’on lui avait racontés. Le soir, elle nous les lisait. C’était de toutes petites histoires merveilleuses. Elle n’avait qu’un tout petit espace à elle, très restreint et décoré de pots en forme d’animaux. Moi, je trouvais ça très joli.

Chez nous il y avait plein de figurines : les petits soldats de mon père dont certains avaient des costumes différents, comme ceux de l’Armée des Indes par exemple. Ils me faisaient voyager. 

La cave conservait nombre de vieux objets car mon père et ma grand-mère avaient été antiquaires. Il y avait aussi plein de bouquins. J’y ai découvert Jules Verne, caché sous d’autres ouvrages. 

Chez mes grands-parents qui étaient cultivés, il y avait du beau mobilier, de beaux objets et de petits tableaux de paysages accrochés aux murs. Mon grand-père était architecte. 

Small pot in slip in the shape of a sitting dog smoking a pipe. Behind a character created by Jean-Baptiste Monge and a bronze in the 1920s style. Petit pot en barbotine en forme de chien assis fumant la pipe. Derrière un personnage créé par Jean-Baptiste Monge et un bronze dans le goût des années 1920. © Corinne Longhi © D’Alsace et d’ailleurs

Exil

Quand ma mère est tombée malade, on m’a envoyé à Brest chez une tante que je n’avais jamais vue avant ; j’étais petit. J’y suis resté un an. 

Mon oncle dessinait des plans de sous-marins nucléaires. Il se couchait à 5h du soir et se levait à 4h du matin. C’était un univers très secret. Ils étaient très religieux aussi. La maison était extrêmement triste, c’était assez effrayant pour moi. 

Transporté chez des gens que je ne connaissais pas – même si ma tante était adorable – c’était difficile : toutes les nuits je rêvais de ma mère. Les histoires qu’elle m’avait racontées refaisaient surface.  

Avec mon oncle et ma tante, on allait souvent sur la grève. J’ai alors découvert les paysages fantastiques de la Bretagne reliés à une mythologie effrayante parlant de la mort, de l’Ankou et de tout le reste.

Heureusement, mon grand-père me racontait de temps en temps une histoire de Poulpikans ou de Korrigans

Dans une malle là-bas, il y avait des albums de Petzi et Astérix

Pendant un an, mon imaginaire m’a sauvé de la peur que m’inspirait ce lieu. Cela m’a aidé. 

Bien des années plus tard, de retour chez mes parents, j’ai retrouvé ce côté un peu sombre des histoires qu’on m’avait racontées. C’est quelque chose que j’ai peu à peu gommé, effacé, en m’intéressant à d’autres sujets, comme les autres gamins. 

Et puis on m’a offert des crayons, alors j’ai commencé à griffonner des trucs. J’avais 5 ou 6 ans. Mais je me rappelle avoir découvert les feutres et sur que grâce à ça j’arriverai à mettre en images quelque chose que j’avais dans la tête. Cela me réconfortait. 

Le dessin n’est pas particulièrement resté en moi, comme chez ces gars qui crayonnent tout le temps. Je partageais une toute petite chambre avec mon frère. Il y avait un lit superposé et une table où on n’avait pas le droit de dessiner parce qu’il ne fallait pas la salir. Sinon, je devais monter chez mes grands-parents et leur réciter d’abord correctement mes compositions. Donc pendant longtemps, j’ai peu pratiqué…

On the bookcase of the living room-dining room, the Lord of the Rings by Tolkien, placed in front of a painting by Jean-Baptiste Monge. Posé sur la bibliothèque du salon-salle à manger, le Seigneur des anneaux de Tolkien, posé devant un tableau peint par Jean-Baptiste Monge. © Corinne Longhi © D’Alsace et d’ailleurs

À l’école

Ma scolarité a été chaotique. J’étais vraiment très mauvais élève. Jusqu’au CM2, ça se passait à peu près bien parce que nous faisions des travaux manuels comme de petites maisons en terre, ou encore en apprenant la couture et le dessin. J’étais très habile de mes mains, alors j’adorais ça. 

Arrivé en 6e, il a fallu développer d’autres apprentissages comme une seconde langue ou avoir un niveau satisfaisant en français et en maths. Mais j’étais très mauvais en maths, ce qui désespérait mon grand-père architecte. 

Le dessin est revenu parce que c’était la seule matière où ça allait : je dessinais dans les marges de mon cahier et j’étais vraiment bon. J’étais très mauvais en orthographe mais j’avais un prof de français intéressant. Il avait remarqué que j’avais un imaginaire bien développé, que j’étais capable de construire des choses, de rédiger à partir d’idées, même sans avoir appris mes cours. Mais c’était bourré de fautes. Comme ces notes baissaient ma moyenne générale, il avait mis au point un système de notation spécial pour moi, ne gardant que la meilleure des deux notes qu’il m’attribuait. 

Cela m’a redonné une forme de confiance en moi qui avait été longtemps complètement balayée. Alors je me suis mis à écrire de temps en temps deux-trois petits trucs. Les dessins que je faisais prirent une autre dimension, puisqu’à ce moment-là j’étais capable de me raconter une histoire et de dessiner un petit peu plus qu’un simple dessin. Il y avait quelque chose dedans. 

Cela m’a tenu jusqu’en classe de seconde où il m’a fallu choisir entre continuer ou arrêter les études. J’ai choisi d’arrêter : cirer les bancs d’école ne m’intéressait pas ; je l’avais déjà fait en redoublant 3 ou 4 années. 

Je voulais étudier aux Gobelins à Paris. Mes grands-parents auraient eu les moyens de m’y envoyer, mes parents pas du tout. Mais ils refusèrent. Cependant ma mère, en forçant un peu, réussit à me faire inscrire dans une nouvelle école à Nantes, l’école Pivaut qui formait au dessin et à la publicité.

Le merveilleux

Le merveilleux était dans tous les à-côtés de l’école : les balades en école buissonnière, les virées en vélo dans des endroits vraiment marrants (des petits coins dans les bois), se lancer des marrons entre copains… J’adore le paysage, sauvage de préférence. 

C’étaient aussi des balades dans les égouts, avec des lampes torches façon Club des Cinq. On partait à l’aventure et nous avions quelquefois des problèmes … Mais cela faisait marcher l’imaginaire. 

Dans l’égout jouxtant la maison, (la « Chézine », une petite rivière où on déversait des tas de cochonneries), j’avais l’impression d’être dans une grotte pour nain et d’y chercher des trésors. 

Mon imaginaire fonctionnait beaucoup, j’étais très gamin, très enfant. Mon carnet de notes portait souvent la mention « trop rêveur », « passe trop de temps à penser à autre chose et pas au travail ». C’était vrai. J’avais juste envie de m’amuser et de profiter du temps que j’avais avant de devenir un adulte à la con, parce que j’avais vu ce que cela donnait autour de moi et que je ne voulais pas de ça.

Painting of a bird pulling an earthworm painted by Jean-Baptiste Monge. In a corner the figurine of a goblin bedridden in a sardine can. Tableau d’un oiseau tirant un ver de terre peint par Jean-Baptiste Monge. Dans un coin la figurine d’un lutin alité dans une boîte de sardine. © Corinne Longhi © D’Alsace et d’ailleurs

À la source

Je voyais ma mère peindre et dessiner. Elle faisait des copies de peintres comme Maurice Utrillo. Mais mon père l’avait reléguée dans un petit coin de la cuisine avec un bout de chevalet et trois tubes de peintures. 

Vers mes 15-16 ans, découvrant des artistes dans les livres, des peintres classiques – comme le paysagiste Paul Surtel dont les toiles sont très vivantes, très dynamiques – j’ai eu un déclic. J’ai pensé faire carrière dans la peinture et le paysage. En fin de compte, j’ai créé des figures ou des motifs animaliers mais jamais vraiment de paysage. Je rêve d’en dessiner ou d’en peindre mais je n’en n’ai pas le temps, pas comme je le voudrais. 

Je lisais beaucoup de bandes dessinées, mais mon professeur de français réussit à me faire découvrir autre chose, comme la vie des peintres, puis des romans et de la science-fiction. Grâce à lui, vers 17-18 ans, j’avais acheté une énorme monographie sur Norman Rockwell. En la lisant, je m’étais demandé comment devenir dessinateur. Cela m’amusait et me motivait parce que, pour une fois, je pouvais être bon à quelque chose. 

Mon père avait, dans la cave, quelques copies d’œuvres d’Arthur Rackham ou de Gustave Doré dans un livre de contes… C’étaient souvent des images en noir et blanc. 

J’avais envisagé un moment de faire de la bande dessinée, mais c’était bizarre ces petites cases de choses pas finies. Je n’aime pas les choses inachevées donc cela ne me plaisait pas. Je me suis finalement plus rapproché des livres d’Arthur Rackham, Brian Froud. Je n’aime pas le Modernisme quand ça parle de voitures ou de mobylettes. Ce qui m’intéressait, c’était le merveilleux, les premiers films parlant de légendes comme Willow ou la Caverne de la rose d’or. Cela me faisait rêver. 

Plusieurs de mes copains avaient grandi avec les dessins animés de Disney. Moi je n’ai connu que les livres de Mickey parce que mon père ne voulait pas acheter de magnétoscope : c’était trop cher. Quand j’ai voulu faire l’école des Gobelins et que je n’ai pas pu, je n’avais de toute façons pas assez de ce bagage culturel. 

Je connaissais plus Goldorak que Disney qui m’avait fait rêver gamin, mais je n’en n’avais vu qu’un ou deux films. Margo, mon épouse, elle, les a tous vus cent fois. Mes références venaient de livres anciens, jusqu’à ce que je découvre Brian Froud, Rien Poortvliet. Quand je me suis rendu compte qu’on pouvait vivre de ça et qu’on pouvait en faire quelque chose, il m’a semblé logique d’en faire ma vie. C’est comme cela que j’ai démarré.

A signboard customized by Jean-Baptiste Monge invites motorists to slow down on the road passing in front of his house and crossing the village. Un panneau indicateur customisé par Jean-Baptiste Monge invite les automobilistes à ralentir sur la route passant devant sa maison et traversant le village. © Corinne Longhi © D’Alsace et d’ailleurs

Inspirations

J’adore Harry Potter, mais on y touve peu de magie et son monde est extrêmement noir. D’ailleurs je n’arrive pas à faire de fantastique parce que c’est très sombre. Ce que je fais sera tout de suite un peu plus mignon, un peu plus rigolo. 

J’ai travaillé pour les jeux Blizzard avec des démons dans un univers très noir. Cela m’amuse mais je dois me faire violence pour aller dans ce sens-là. J’aime les sentiments, l’affection que tu peux percevoir dans une image, sans pour autant verser dans la niaiserie. 

Les œuvres de Philip Pullman m’inspirent, comme celles d’Ursula K. Le Guin. Dans sa façon d’écrire, Ursula K. Le Guin a quelque chose de merveilleux, une façon de porter des images qui t’emmène assez loin. Il y en a plein d’autres. Les lectures m’inspirent des images, mais je n’aime pas m’attacher à quelque chose de précis, même si j’aimerais illustrer un jour le Christmas Carol de Dickens. J’ai une peur folle de me lancer, parce qu’il y a mille façons de le faire. Et je veux la bonne. Il faut que les choses viennent naturellement. Cela doit être magique. Mes meilleures images, je les ai créées rapidement.

Les images dessinées par d’autres qui me viennent immédiatement à l’esprit sont celles de Haddon Sundblom pour Coca Cola. Dans la première, un petit garçon et une petite fille sont devant un réfrigérateur ouvert et le Père Noël avec un soda à la main. Dans la seconde, un lutin sert un verre de soda au Père Noël assis dans un fauteuil, tandis que d’autres lutins le déchaussent. 

Il y a une illustration des années 1930, créée par Norman Rockwell, où un homme vêtu à la mode de la fin du XIXe siècle porte un panier d’où émerge la tête d’une oie.  Dans une édition de la nouvelle de Washington Irving intitulée « Rip Van Winkle », une image créée par Arthur Rackham figure le héros face à une assemblée de nains. 

J’avais vu à Nantes une exposition de dessins de John Howe dans les années 1990. Il y avait là un dragon sur un tas d’or qui m’est resté en mémoire Smaug.

Je peux aussi citer Conan le Barbare de Frank Frazetta et, dans les Contes de Noël de Disney, Mickey qui travaille sur son pupitre.

In his Alsatian studio, Jean-Baptiste Monge has three workstations. Here, the one dedicated to computer drawing and video commentary. Dans son atelier alsacien, Jean-Baptiste Monge a trois postes de travail. Ici, celui dédié au dessin sur ordinateur et cours commenté en vidéo. © Corinne Longhi © D’Alsace et d’ailleurs

Libre

Ma liberté est tellement importante pour moi. J’ai le contact facile avec les gens mais, gamin, cela me stressait beaucoup de voir, de rencontrer des copains : j’étais toujours tendu. Je ne me sentais bien que lorsque je dessinais ou que j’avais le nez dans les bouquins. Cela me recentrait. Je pense que c’était une forme de fuite pour rester libre tout le temps. 

Plus tard, ayant l’opportunité de rentrer dans des agences de pub, j’ai décliné chaque fois. J’aurais pu travailler dans des créations pour des univers fantastiques, dans des compagnies de films facilement. J’ai des copains qui gagnent très bien leur vie avec ça, mais cela ne m’intéressait moins. J’étais juste passionné par le paysage, les animaux, les fées et les lutins. Et encore, les fées en soi, je ne les aime pas trop. Mais tout ce qui est gobelins, lutins, petits personnages qui peuvent raconter des histoires, que tu pourrais trouver derrière chez toi dans le jardin, que j’ai sans doute « vus » étant gamin et imaginés à tel point que j’ai une facilité à les représenter, c’est vraiment ce qui m’a passionné. Je savais que ça ne me ferait pas gagner des sous monstrueusement. 

Mais j’avais rencontré artistiquement Norman Rockwell. Ce que j’aime chez lui, ce sont ses dessins du début avec des costumes anciens ; c’est très Dickens, une époque révolue. Je ne suis pas passéiste, mais j’aime cette vision d’hier. Il y a quelque chose de joli, d’esthétique dans tout ce qui est ancien. On a perdu cela aujourd’hui. Peut-être cela vient-il du goût de mes grands-parents pour les vieux et beaux objets ? Pendant une année ou deux au plus, je me suis tourné vers le moderne. Mais cela m’a vite lassé. 

Small notebook of drawings enhanced with gouache or watercolors by Jean-Baptiste Monge. Here, a view of his old « cabin » in Canada. Petit carnet de dessins rehaussés de gouache ou aquarellés de Jean-Baptiste Monge. Ici, une vue de son ancienne « cabane » au Canada. © Corinne Longhi © D’Alsace et d’ailleurs

Le sens du détail

Le modernisme m’intéresse tellement peu : on va toujours mettre un gamin à Paris ou New York à notre époque, sans savoir remettre l’enchantement là où il doit être. Pour moi l’enchantement loge à une période qui ne peut être contemporaine puisque notre époque est celle de l’argent, du progrès, dominée par des choses qui ne sont pas belles. L’enchantement ne peut être que d’autrefois, de l’ordre du rêve.

Prendre n’importe quelle maison et lui enlever comme on fait aujourd’hui ses fioritures, c’est une monstrueuse mutilation. Il ne reste rien. C’est comme l’intelligence artificielle. N’importe qui peut s’en servir et se dire artiste. C’est une hérésie. C’est comme enlever ses fioritures à une chaise ou à une table ; il n’en reste qu’une forme simpliste. 

Les fioritures, c’est l’âme d’une chose. Si tu les enlèves, c’est creux. Les fioritures, c’est là où tu peux attacher une histoire, une époque. C’est riche, c’est un foisonnement. Comment veux-tu avoir un foisonnement sur un mur blanc ? Il n’y a pas un pan de bois, il n’y a rien qui traîne. 

Les artisans, eux, prennent le temps de créer de belles choses, de travailler leur forme avec leur savoir-faire. Sans cela on se retrouve avec des objets sans âme, des bouts de bois taillés par une machine à laquelle on va apprendre à faire de l’ancien et des gens à qui on ne l’enseignera plus, parce que la machine l’aura appris à partir d’images volées. Et quand il faudra transmettre aux humains, il sera trop tard. On ne saura plus, parce que le savoir-faire se sera perdu. C’est une aberration. 

Tu ne peux enchanter les choses qu’avec un terroir enchanteur. Si tu modernisais Strasbourg avec des prouesses d’ingénieur en béton, il n’y aurait pas de vie derrière. Tandis que si tu te promènes dans Strasbourg comme elle est, par temps de neige ou de brouillard, tu peux laisser ton esprit dériver pour te retrouver dans une histoire à la Harry Potter avec un univers merveilleux. C’est parce qu’il y a ces fioritures qu’on peut y accrocher des histoires. 

In his Alsatian workshop, Jean-Baptiste Monge has three workstations. Here, the one dedicated to painting. Dans son atelier alsacien, Jean-Baptiste Monge a trois postes de travail. Ici, celui dédié à la peinture. © Corinne Longhi © D’Alsace et d’ailleurs
In his Alsatian workshop, Jean-Baptiste Monge stores his pencils in a small copper pot. Dans son atelier alsacien, Jean-Baptiste Monge range son stock de crayons dans une petite marmite en cuivre. © Corinne Longhi © D’Alsace et d’ailleurs

Comme si chaque doigt avait des yeux

Quand je regarde une œuvre, je m’attache aux petits détails dans la vue d’ensemble. Quand j’ai fait de la sculpture pour des entreprises d’animation, j’ai commencé par le numérique et, après des années de pratique, je me suis senti frustré. C’est pour cela que j’aime revenir au dessin traditionnel entre deux créations numériques. C’est un acte physique, limité par mes aptitudes physiques. La sculpture est, à ce titre, encore plus sensuelle par le modelage de la matière. Elle est encore plus magique que le dessin puisque je crée quelque chose à partir de rien. Comme si chaque doigt avait des yeux. Mais je ne ressens ce plaisir et cette aptitude qu’avec des sujets animaliers. J’aurais d’ailleurs tendance à plutôt ôter du détail dans mes sculptures, parce que si j’en mets trop, j’en perds l’aspect vivant. Il faut trouver un entre-deux. J’aime le mouvement et le détail.

Ma mémoire est essentiellement visuelle mais inconsciente. Je vois, je digère et tout ressort quelques jours plus tard, les visages singuliers en particulier. Quand je regarde un film, il m’arrive de dessiner des visages d’acteurs que j’ai vus quelques jours auparavant et de ne m’en rendre compte que quand j’ai terminé. Ce sont des choses enfouies qui ressortent.

In his Alsatian workshop, Jean-Baptiste Monge has three workstations. Here, the one dedicated to drawing with pencil, watercolor or gouache. Dans son atelier alsacien, Jean-Baptiste Monge a trois postes de travail. Ici, celui dédié au dessin au crayon, aquarelle ou gouache. © Corinne Longhi © D’Alsace et d’ailleurs
Jean-Baptiste Monge draws a little gnome in his workshop in Alsace. Jean-Baptiste Monge dessine un petit gnome dans son atelier en Alsace. © Corinne Longhi © D’Alsace et d’ailleurs

Le terroir

La Bretagne ne signifie pas forcément la mer pour moi. J’aime beaucoup les petites montagnes, comme les Monts d’Arrée, c’est un coin où je suis resté longtemps. On a passé toutes nos vacances vers Brest. 

Au Canada avec Margo, c’est le paysage que nous cherchions. La montagne y est assez basse, mais il y a des arbres et beaucoup de neige. 

Dans mon esprit, il me faut une moyenne montagne, des arbres, des sapins, des chênes et de la neige. La montagne a ce côté merveilleux de l’enfance, comme dans le Noël de Mickey : ce dessin animé m’a fasciné. On y trouve des costumes anciens, une ambiance un peu feutrée, de la neige, tout ce que j’aime. Tous ces paysages que je vais trouver ici, dans ce village en Alsace. La nuit, quand tu sors, il n’y a personne, tu te croirais presque 100 ans en arrière. Il n’y a rien qui te dise que tu es dans la modernité. Ça, pour nous, c’est fantastique. 

Au Québec, lorsque nous étions dans le bois, quand il y avait 50 centimètres de neige, le paysage était merveilleux. 

Le truc amusant c’est que les deux hivers précédant notre départ vers le Canada, il a neigé dans les Monts d’Arrée comme jamais auparavant, donnant au paysage une autre dimension. Nous étions ravis. 

En Alsace, nous sommes un peu plus en hauteur. Mais je n’irai pas dans la haute montagne parce que c’est trop nu. J’aime les endroits moussus, les petites orées de forêt, les petits chemins en terre avec la petite barrière en bois qui t’incite à aller plus loin. Et puis les ambiances assez feutrées, la lumière bleue filtrant entre les branches d’un sapin, des petites collines, du brouillard. C’est ce qui me rattache à la terre. 

La Bretagne n’a pas un climat classique, l’Alsace non plus. Il y a d’autres pays qui m’intéressent à ce titre : la Slovénie, la Slovaquie, la Roumanie ou les Carpates

Je n’ai pas travaillé spécifiquement le paysage, mais finalement, il se retrouve dans mon environnement à chaque fois. Je serais incapable de créer en vivant dans un immeuble sans cour, sans arbre, sans nature.

View of the Monts d’Arée from the side of Menez Hom. Vue des Monts d’Arée du côté de Menez Hom. © Corinne Longhi © D’Alsace et d’ailleurs
View of a slope of the Monts d’Arée on the side of Menez Hom in foggy weather. Vue d’un versant des Monts d’Arée du côté de Menez Hom par temps de brume. © Corinne Longhi © D’Alsace et d’ailleurs

Stereden en Alsace

L’Alsace m’apporte les paysages de sapins que j’associe au romantisme allemand et le grès rose. Ici, la légende nait des châteaux posés sur les roches et les rochers eux-mêmes. C’est le décor qui précède mes personnages. J’aime les personnages. 

Quand je dessine un arbre, j’y ajoute des biches, sinon les lecteurs s’ennuient. Pourtant, moi, ce qui m’intéresse vraiment, c’est l’arbre. 

En Alsace, il y a davantage d’évocations d’ogres, de géants, de gnomes ou de nains dans les noms de lieux qu’en Bretagne, cela reste assez vivant. Le paysage va avec les personnages que je crée. De ce point de vue, le village où nous vivons est assez typique, et la maison, très inspirante pour ce que je fais.

Je crois en ma bonne étoile : nous appelons d’ailleurs chacun de nos domiciles « stereden », l’étoile en breton. On a trouvé cette maison grâce à l’ASMA – Association pour la Sauvegarde des Maisons Alsaciennes – et notre rencontre avec Jean-Pierre, notre propriétaire, un Breton qui habite en face. 

In the Alsatian office of Margo Monge, a photo of her with her husband Jean-Baptiste. She is in charge of their publishing activity, « Goblin’s way » and online sales. Dans le bureau alsacien de Margo Monge, une photo d’elle au côté de son mari Jean-Baptiste. Elle s’occupe de leur activité d’édition, « Goblin’s way » et la vente en ligne.

Site professionnel

Jean-Baptiste Monge

Publications

  • Halloween, auteurs : Patrick Jézéquel, Bénédicte Morant ; illustrateurs : Jean-Baptiste Monge, Erlé Ferronnière – 1997
  • Baltimore et Redingote : Jean-Baptiste Monge et Pascal Moréguou co-auteurs – 1999
  • À la Recherche de Féerie tome I, auteurs, Patrick Jézéquel, Jean-Baptiste Monge, Erlé Ferronnière ; illustrateurs : Jean-Baptiste Monge, Erlé Ferronnière – 2002
  • À la Recherche de Féerie tome II, auteurs, Patrick Jézéquel, Jean-Baptiste Monge, Erlé Ferronnière ; illustrateurs : Jean-Baptiste Monge, Erlé Ferronnière – 2004
  • Carnet de croquis, archives de Féerie Tome I, Jean-Baptiste Monge, préface Patrick Jézéquel – 2006
  • Celtic Faeries, illustrations Jean-Baptiste Monge, préface Pierre Dubois – 2007
  • L’Univers des Dragons, Premiers Feux, auteurs Laurent et Olivier Souillé, participation au collectif (textes et dessins) – 2007
  • Carnet de croquis, archives de Féerie Tome II, Jean-Baptiste Monge – 2008
  • Best of Faeries, Jean-Baptiste Monge – portfolios – 2008
  • L’Univers des Dragons, Deuxième souffle, collectif, illustrations – 2008

Sur internet

3 réflexions sur “Jean-Baptiste Monge artiste, dessinateur, peintre et sculpteur

  • 11 janvier 2023 à 11 h 35 min
    Permalien

    Bravo corinne pour ce merveilleux article sur Jean-Baptiste Monge! Je ne savais pas qu’il était en Alsace ! Il est depuis longtemps une grande source d’inspiration pour moi.
    Encore bravo pour ton travail !
    Namicalement
    Roland Perret

    Répondre
    • 11 janvier 2023 à 17 h 29 min
      Permalien

      Cher Roland, merci pour ton gentil message ! Notre « NAlsace » attire des gens de qualité quand elle ne les produit pas elle-même. Je me réjouis de ce bonheur partagé ! Au plaisir vous revoir Jordane et toi ! Corinne Longhi

      Répondre
  • 3 avril 2023 à 21 h 45 min
    Permalien

    Bonjour,
    Je suis complètement admirative de l’univers de Mr. Jean-Baptiste Monge qui réveille toute mon enfance bercée par les Tomte Nisse, Elfes, Trolls suédois … des Univers de John Bauer, Astrid Lindgren ou Viktor Rydberg. J’ai découvert récemment les oeuvres de M. Monge à travers un ami graphiste et ayant passé Nouvel An en Alsace (où j’ai la belle-famille), je serai ravie de recevoir votre article en pdf ou imprimé pour le lire à mes enfants et le garder comme référence lors de notre prochaine venue dans la région. Avec l’espoir peut-être de pouvoir visiter l’atelier du grand maître et discuter de ses oeuvres, son monde fantastique et incroyablement magique qui nous fait voyager dans notre enfant intérieur. Avec mes meilleures salutations et amitiés, Milena U. (graphiste designer) PS si des ateliers ou stages en illustrations sont organisés par le service culturel d’Alsace dans la région de Mulhouse ou Strasbourg, nous serions ravis d’y participer.

    Répondre

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

error: Contenu protégé.