Roland Perret et Jordane Desjardins, artistes peintres

En de nombreux endroits en Alsace, leurs oeuvres animent de scènes colorées les murs de quelques commerces, habitations privées, chapelles… Éblouie par des aquarelles raffinées, sensible au monde de la Nalsace, il me tardait d’en rencontrer les auteurs. Jordane Desjardins et Roland Perret m’accueillent dans une galerie éphémère à Molsheim. Ce couple d’artistes, placé sous les signes du cœur et de la lumière, se racontent, entourés de plusieurs de leurs créations. Leurs voix douces me guident dans leurs univers. Écoutons-les.


Roland Perret

Inventeur d’un monde à part entière, la Nalsace, Roland Perret est un artiste dont les dessins trouvent leurs places sur de nombreux supports : papier, murs, bois, toiles… Artiste polyvalent, nous croisons ses oeuvres depuis quelques décennies du nord au sud de l’Alsace. Familières et ludiques, on ignore souvent qu’elles sont de sa main.


De Molsheim à Paris

Je suis né à Molsheim. Mon père était industriel. Il avait un petit coup de crayon, mais, pour lui, c’était inimaginable de vivre de l’art. Ça l’effrayait. Il a choisi une voie professionnelle dans l’industrie. Il n’y avait pas d’artiste dans la famille.

Moi, le monde me faisait peur. Je me suis enfermé sur moi-même et je me suis mis à dessiner sans arrêt. J’ai eu la chance de prendre conscience, adolescent, que l’art est un miroir. C’est ainsi que j’ai découvert l’art-thérapie. Dali parlait de la méthode paranoïaque- critique et je l’ai redécouverte par le dessin- miroir. Je me suis rendu compte qu’il y avait une possibilité thérapeutique. Quand j’ai enfin été bien dans ma peau, j’ai compris que j’avais développé tout ce temps des aptitudes artistiques.

© Roland Perret – Soultz-les-Bains – Chapelle Saint Amand

Je me suis rapproché de Paris à une époque où j’ai commencé à vivre de la peinture dès mes 20 ans. J’ai accepté tous les travaux en lien avec la peinture. Ça m’a permis d’étendre des compétences, de me diversifier. J’ai peint, customisé des véhicules etc. ; c’était la mode dans les années 1980 avec les aérographes.

Au niveau technique, j’ai cherché à répondre à presque n’importe quelle commande artistique. Ça allait de la peinture murale jusqu’à la gravure d’un timbre- poste, en passant par l’illustration pour livres, des vitraux etc… Quand un secteur est appauvri ou passé de mode, ça me permet de continuer à me développer : je me repose physiquement et intellectuellement d’une action dans une autre. Être à l’atelier après un exercice de peinture de fresque murale, c’est comme de partir en vacances. Si on a une richesse d’activité, on est en vacances toute l’année. De cette façon, je reste en accord avec moi-même et je conserve le plaisir de faire les choses.

© Roland Perret – Wisches

Convergence des styles

Mes sources sont, par exemple, Tolkien ou les Nibelungen. Il y a l’aspect philosophique, la recherche métaphysique : qu’est-ce qu’un être humain, quelle est sa place dans le monde, quelle est sa place sur terre, est-ce qu’il y a quelque chose à développer ?  

Il y a aussi Ernst Fuchs, peintre symboliste Viennois, l’Italie, ou les illustrateurs américains : Frank Frazetta, Norman Rockwell.

Ernst Fuchs fait une peinture figée plutôt iconique. Les illustrateurs américains sont plus dans un dessin dynamique. Les deux styles me paraissaient absolument fascinants. Comment allier les deux, comment amener la richesse de contenu de Fuchs dans l’univers dynamique américain ? La peinture iconique est un peu hors de portée contrairement aux dessins de bande dessinée. Ce que j’ai toujours cherché à faire, c’est de rassembler ces deux univers, ces deux pôles, relier les contraires, les complémentaires. Ce que j’ai à dire, c’est de raconter la vie et le mouvement. J’espère y être arrivé.

J’admire l’artiste contemporain Yoann Lossel. Il produit des graphismes en noir et blanc avec des rehauts à la feuille d’or. Je trouve son travail extraordinaire. Je n’ai pas trop d’affinité avec l’abstraction.



La Nalsace


L’aiguillon qui m’a poussé à écrire, c’est la frustration. La fresque est une peinture de commande, j’ai peu de liberté dans cet exercice. Cela a créé un manque. J’avais envie de développer l’illustration et l’écriture. J’ai alors imaginé la Nalsace.

Le personnage avec ses feutres en cartouchière, c’est le Nauteur de la Nalsace, son Nambassadeur. C’est un principe de récit. En allant dans la Nalsace, on ne peut pas emmener d’objet, ni d’appareil photo. Dans mon rôle d’ambassadeur, je peux y entrer et simplement dessiner ce monde. L’idée c’est de donner une logique à cet univers onirique. Je joue avec les codes de l’Alsace. C’est amusant de décliner ce monde parallèle. Je me suis impliqué en tant que personnage de fiction dans ces ouvrages en riant un peu de moi-même. Les gros livres de départ ont été ensuite déclinés en brochures. Coulé dans mon personnage de Nambassadeur de la Nalsace, je le révèle au public à travers mes dessins et dans les expositions.

© Roland Perret – Waltenheim sur Zorn

La Nalsace date de 2006. Mon objectif était d’arriver à changer l’image un peu cliché de l’Alsace. C’est une terre de culture, de philosophes, de contes, de mythes mais qui n’est pas mise en avant comme en Bretagne, malgré une tradition forte. J’ai cherché à lui donner une représentation plus sophistiquée, à casser le moule, avec une étude sur les symboles graphiques comme le bretzel. Maintenant on le trouve partout, comme dans l’image de l’Alsace dont il l’emblème graphique. Ce n’était pas le cas avant.

© Roland Perret – Waltenheim sur Zorn

Entrer dans la Nalsace, c’est s’immerger dans un monde bienveillant. Quand a lieu notre festival, on propose au public des jeux de gosses, très simples. Tout est fait dans un esprit bon enfant et ça fonctionne ! Mon voeu, c’est de garder cette fraîcheur et cette convivialité. La base, c’est le rapport humain entre les Namis, les Norganisateurs. C’est un gros boulot de création de décors, de préparation – un an de travail- et un investissement conséquent. Mais la récompense, c’est le bonheur des gens, le regard des enfants.

© Roland Perret – Waltenheim sur Zorn

Pour entrer dans la Nalsace, on passe par le site de la Nalsace où il y a la charte de la Nalsace, son sésame. On peut aussi passer par une Nalsature. À l’époque je racontais que la porte d’entrée c’étaient mes fresques. Mais comme les gens se cognaient dessus, j’ai abandonné l’idée…

C’est un monde parallèle inversé : les habitants y ont la tête en bas. Il y a d’un côté le monde ludique avec les enfants et puis un autre, plus philosophique, plus lumineux, avec des valeurs de cœur et développé dans les livres.

© Roland Perret – Waltenheim sur Zorn

Héritages régionaux

Il y a une filiation sur certains aspects, formels ou conceptuels avec les artistes alsaciens traditionnels. Ce que j’ai tenté d’apporter avec la Nalsace, c’est une profondeur par rapport au costume. Je l’ai débarrassé de tout ce qui l’engonçait. Je suis resté par exemple dans les codes en les modifiant. J’ai raccourci les jupes et rallongé les rubans ce qui m’a valu des courriers ; aujourd’hui, il y a des défilés de mode avec des robes plus contemporaines…

Je joue avec les références en essayant, pour certains, d’amener du sens pour que les plus jeunes générations puissent apprécier l’Alsace.


Ma grande victoire par rapport à ça c’est d’entendre un gamin installé sur une chaise, les pieds sur le dossier, la tête en bas répondre à son père qui lui demande pourquoi il fait ça : « Papa, t’inquiète pas, je suis un Nalsacien ! ». 

Dans ma jeunesse, je ne savais pas apprécier les richesses de l’Alsace. C’est en la quittant que je me suis rendu compte de leur intérêt. Je suis sensible à l’amour du beau et du travail bien fait. J’ai cherché ce qu’était vraiment l’Alsace. Ça nous file entre les doigts. C’est plus de l’ordre d’une création, d’une image à donner, qu’une identité facilement reconnaissable.

© Roland Perret – Maison Lips – Gertwiller

Comment s’annonce l’avenir ?

Il y a un nouveau livre en préparation : Vingt mille lieues sous l’Alsace, dans un univers steampunk.

Par ailleurs je suis énergéticien. J’ai découvert qu’on peut développer quelque chose au niveau du cœur, une sorte d’accomplissement. J’ai beaucoup travaillé le côté énergétique. Ce qui me guide, c’est le cœur solaire. Ce n’est pas de l’émotion dont il s’agit. C’est un niveau vibratoire global, encouragé, stimulé et stabilisé. Le coeur solaire permet de trouver le bonheur inconditionnel développé par une pratique que j’enseigne en ligne et en présentiel.

© Roland Perret – Maison Lips – Gertwiller


Jordane Desjardins

Artiste pudique, délicate et discrète, la personnalité de Jordane rayonne dans ses aquarelles. Maîtrisant l’art du glacis, Jordane Desjardins puise son inspiration aux sources de la nature d’ici et d’ailleurs. Ses dessins affichent une lumineuse transparence.

© Jordane Desjardin

La nature de l’art

Dès petite j’étais passionnée par le dessin et le modelage.

Pendant les vacances d’été j’allais chez mes grands-parents dans les Hautes-Pyrénées et mon grand-père était quelqu’un qui aimait me faire découvrir et partager ce qu’il aimait : la nature, les fleurs les poissons etc… Grâce à lui en j’ai réalisé mon premier herbier dessiné en fin d’école primaire. Je l’ai toujours.

Au lycée, j’admirais Hans Hartung, le côté gestuel, la spontanéité. J’ai eu une période comme ça dans l’instantanéité. La matière était opaque mais légère.

Après des études d’arts graphiques à Paris, je suis passée par l’abstraction. J’ai tâtonné… . Par la suite, j’ai travaillé quasiment sans eau… au couteau, en opaque. Le passage au glacis transparent s’est fait avec les fresques.

J’ai découvert cette technique grâce à Roland. Toutes mes études artistiques, on ne m’a jamais parlé de ça, ce qui est une hérésie : c’est tellement important dans la peinture classique. Le glacis c’est une succession de fines couches transparentes qui donnent les volumes et les couleurs ; c’est comme l’aquarelle.

© Jordane Desjardins

Alsacienne de coeur

Je suis Alsacienne depuis 1994. J’étais d’abord à Andlau, c’était magnifique. J’y ai pleinement profité de la nature. Puis je me suis installée à Strasbourg que j’ai trouvée très agréable à vivre. Je n’avais plus le désir de retourner à Paris.

Ce qui m’a donné envie de rester, c’était de bénéficier des avantages d’une grande ville sans en avoir les inconvénients. Je m’y suis sentie bien. Les quartiers étaient à échelle humaine. Aujourd’hui, j’ai plus envie de nature. Quand je me promène, je vois plein de choses, plein de détails qui me fascinent. J’emporte l’appareil photo, je fais des vidéos. Ça me nourrit.

© Jordane Desjardins

Retour aux sources

J’étais dans une quête de spiritualité, dans un cheminement un peu confus. Il y a eu des personnes de mon entourage qui ont semé des graines qui ont commencé à germer.

J’avais besoin de savoir qui j’étais. Et pour le savoir, je devais revenir en arrière, à mes racines généalogiques, les assumer pleinement et même les revendiquer. Ma grand-mère maternelle était vietnamienne, descendante d’une dynastie impériale. Il y a quelques années, j’ai rencontré ma famille au Vietnam. Ça a éveillé en moi des choses enfouies. Ça a été une transformation. C’est comme si j’avais alors « orientalisé » ma conception de la vie. Cela a influencé profondément mes créations, jusqu’à mon attitude envers la vie.

Je le représente le plus souvent possible. Dans tout ce que j’essaye de faire.


La fresque du lavoir


À Urmatt en 2020, Jordane et Roland conjuguent leurs talents pour réaliser une fresque dans l’ancien lavoir de la commune. Mêlant leurs techniques, ils fixent une scène de vie du début du XXe siècle. Jordane raconte.

C’est une commande de la mairie. J’ai géré l’équipe de joyeux et nombreux participants en collaboration avec Roland Perret sur cette fresque. Sur un projet de peinture murale, nous mettons en commun nos idées. Pour le lavoir d’Urmatt, le concept était de représenter les gens du village, des scènes de vie en nous appuyant sur des documents historiques dans lesquels nous avons repéré des personnages. Nous avons décidé ensuite comment nous traiterions le sujet, optant, cette fois-ci pour un tracé cerné, graphique.

Sur cette très grande fresque de 24 mètres linéaires, il fallait trouver une solution pour traiter les silhouettes de façon harmonieuse, avec une coloration dans un style un peu vintage. Nos aides ont rempli les zones d’aplats colorés. Roland et moi avons réalisé les effets de volume et les touches finales.


D’amour et de lumière

Jordane Desjardins Quand j’ai rencontré Roland, j’étais admirative de son travail. Nos univers étaient très différents. Le sien était plus sombre, plus souterrain, le mien était plus aérien. Entre nous ce fut non pas un coup de foudre, mais un coup de lumière.

Roland Perret Oui, la peinture de Jordane, c’est la lumière de qui elle est. C’est ce qui a fait notre rencontre, la lumière…


Pour aller plus loin

Roland Perret

Jordane Desjardins

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