Le kougelhopf

« Turban » aux Pays-Bas, « bonnet de turc » dans le Palatinat, « kuglof » en Hongrie, « Gugelhupf » en Autriche, « baba » en Pologne, « kugelhopf » en Alsace… Découvrez ce gâteau de légende, apporté par le petit chaperon rouge de Grimm, à sa grand-mère.


Dis, comment tu t’appelles ?

Le kugelhopf alsacien est connu sous de nombreux noms à travers le monde. Tout autant que son appellation, sa forme et sa recette varient.

« Gugelhupf » est un terme principalement utilisé dans le sud de l’Allemagne. Le gâteau serait né dans le bassin rhénan aux alentours du XVIIIe siècle.

Dans la région du Rhin, de la Moselle et en Westphalie au nord-ouest de l’Allemagne, le gâteau s’appelle « Rodonkuchen » ou « Rato cake ». Ce qui pourrait venir du mot « rotonde » latin désignant la cheminée cylindrique au milieu du moule ou du mot « rato », « rat ».

En 1774 Adelung, Schmeller en 1872, Franz Maier-Bruck ou Emma Eckhart dans son livre de cuisine Le poêle domestique de 1876, prêtent au mot allemand « Gugel » une origine commune au foulard « Gogel » que les paysannes nouent sur leurs têtes.

L’Encyclopédie universelle de toutes les sciences et arts de Johann Heinrich Zedler, le désigne en 1731 comme dérivé du capuchon capucin, le « Gugel », et enregistre le « Gugelhupf » sous le mot-clé « Kugel-Hippe ». Selon d’autres sources tournées vers l’hypothèse de la capuche, on offrait un « cuculla offa » aux jeunes moines pour leur entrée au monastère. « Cuculla » signifie capuche. 

Le « Batzerl » ou « Patzerlgugelhupf » tire probablement son origine du « Buchteln » de Bohême. Les « Patzerln » sont des morceaux de pâte de taille moyenne collés les uns aux autres pour former une brioche. Ils sont parfois cuits dans un moule à kougelhopf.

En Basse-Lusace et en Saxe, on parle de « Babe », dérivé du « baba » du Wendland. Selon Johan Andreas Schmeller et les frères Grimm, « Babe » vient du moyen haut allemand « bâbe ».

En Rhénanie et au Palatinat on parle de « Bund (e) kuchen », « gâteau couronne ». La forme du moule évoquant celle du turban turc, le nom serait resté. Sans lien autre que la forme, le « Bundt » américain est une marque de moule déposée et commercialisée dans les années 1950 aux États-Unis où le Gugelhupf et sa forme typique ont été introduits par les migrants juifs.

Entre la Thuringe et la Silésie, le « Aschkuchen », « gâteau aux cendres », est commun. Son nom est dérivé d’« Asch », « bol » en terre profond. Le nom viendrait de sa cuisson dans les cendres.

En Alsace, on dit que le mot kugelhopf vient de « Kugel », la boule et « hopf » de « Hopfa » le houblon, d’autre disent de « Hut » le chapeau. D’ailleurs le « kugelhut » désignait autrefois le couvre-chef des parlementaires de Strasbourg.


Légendaire

On raconte que les Rois Mages de retour de Bethléem se rendent en Alsace où ils s’arrêtent à Ribeauvillé. Chaleureusement accueillis, ils offrent en remerciement à leurs hôtes un gâteau de la forme de leur turban. 

Une autre version explique que Kugel, pâtissier de Ribeauvillé, héberge les rois mages, faisant étape en Alsace sur la route de Bethléem qui le remercient, en lui confiant la recette d’un gâteau, baptisé « Kugelhopf ».

Une variante rapporte qu’un roi-mage, sortant de la crèche, y aurait oublié son turban. Au retour de croisade, ce chapeau aurait été utilisé comme moule par un pâtissier strasbourgeois.


Royal

Stanislas Leszczynski, roi de Pologne et beau-père de Louis XV, installe sa cour à Lunéville, en Lorraine. Nicolas Stohrer réalise son apprentissage en pâtisserie à Wissembourg dans les cuisines du roi Stanislas. Il devient ensuite le pâtissier de la fille de Stanislas, Marie Leszczynska épouse de Louis XV, qu’il suit en 1725 à Versailles.

Nicolas Stohrer invente le baba au rhum, brioche sèche arrosée de vin de Malaga, parfumée de safran servie avec de la crème pâtissière, des raisins secs de Corinthe et frais. Il s’inspire d’un dessert polonais traditionnel : une brioche sèche ; un kougelhopf ? C’est ce que dit la légende. Le baba tire son nom du personnage principal des contes des Mille et une nuits. Il est possible de déguster des babas dans la pâtisserie Stohrer, 51 rue Montorgueil à Paris. Cette boutique est inscrite aux monuments historiques.

On dit aussi que l’archiduchesse Marie-Thérèse d’Autriche, épouse de François III Étienne duc de Lorraine et de Bar, futur empereur d’Autriche, les parents de Marie-Antoinette, puis Marie-Antoinette, auraient contribué à relancer la mode du « Gugelhupf » à la cour de France.


De lointains ancêtres

Au commencement il y a un mélange de farine et de miel, séché au soleil sur une pierre chaude. En l’absence de levure, ce gâteau, un obélia, ressemble à une galette. On le dit né il y a 7000 ans, en offrande aux dieux.

Au temps des pharaons, les pâtisseries, souvent thérapeutiques et très sucrées sont confectionnées à base de dattes, de miel ou de raisins secs. Les autres fruits connus, plus rares, sont réservés aux élites.

La Bible mentionne l’existence de biscuits aux raisins secs :

  • Chroniques (12.40) : « Même les suivants autour d’eux, y compris Isaschar, Sebulon et Naphthali, apportaient du pain sur des ânes, des chameaux, des mulets et du bétail, des aliments à base de farine, gâteau de figues et raisins secs. »
  • Premier livre de Samuel (25 :18) : « Abigail se précipita et prit deux cents pains et deux cruches de vin et cinq moutons bouillis et cinq boisseaux de farine et cent gâteaux aux raisins secs et deux cents gâteaux aux figues et l’a chargé sur l’âne. »

On cuisine longtemps au saindoux faute de laitages. L’élevage des poules au VIIe siècle, voit l’introduction des œufs dans la pâtisserie. Dès lors, le mélange farine- œufs participe à l’apparition de la pâtisserie, complétée plus tard par l’introduction du sucre, du beurre, puis de la levure.


Une forme typique

Des céramiques du IIe siècle après JC, découvertes à Carnuntum (Autriche) attestent de la connaissance, dans l’Antiquité romaine, des moules à cheminée centrale. Des exemplaires du XVIe siècle sont conservés dans des musées français. Ils attestent d’une utilisation plus proche de notre époque et néanmoins ancienne.

Né dans le bassin rhénan aux alentours du XVIIe siècle, on suppose qu’à l’origine le kougelhopf est préparé dans un bol rond ou une petite bouilloire. De la Renaissance et du Baroque, on fabrique des moules en céramique ou en cuivre, plus tard étamés, voire en tôle émaillée ou en fer.

En Alsace on préfère cuire le kougelhopf dans un moule à cheminée provenant des poteries de Soufflenheim. Vernissé ou émaillé à l’intérieur il l’est parfois aussi à l‘extérieur. La cheminée diffuse régulièrement la chaleur au cœur de la pâte.

Les moules ornementaux accrochés dans la cuisine affichent l’aisance matérielle de la maison et la virtuosité de la cuisinière. Le kougelhopf reste longtemps un gâteau symbole de réussite bourgeoise dans les villes et un dessert festif dans les campagnes.


Des moules symboliques

En Alsace, le moule à kougelhopf s’achète et s’offre couramment, en particulier pour célébrer les temps forts de la vie. On le trouve sous plusieurs formes. De nombreux modèles ne reprennent pas le principe de la cheminée centrale. Ces derniers possèdent parfois trois à quatre pieds sur le dos pour les stabiliser pendant la levée de la pâte.

Il y a les thèmes païens : le panier de fruits incarnant l’abondance des récoltes ; la grappe de raisins utilisée au moment des vendanges ; l’écrevisse, le crapaud et la poule, symboles de fécondité sont offerts aux fiançailles ou aux mariages ; le lièvre figure le printemps…

On trouve la symbolique chrétienne : le cœur amoureux et du Sacré Cœur (surmonté de la couronne d’épine, représentant la passion du Christ. La croix, un agneau ou les clous symbolisent sa crucifixion) ; le bébé, image de l’enfant Jésus, est utilisée à Noël et pour les baptêmes ; l’étoile fête la Nativité et l’adoration des Rois Mages ; le poisson est offert à nouvel an ; l’agneau est utilisé à Pâques.

Il existe des moules dédiés à la monarchie : la fleur de lys employée lors de l’Épiphanie, fête des rois mages ou lors de célébrations monarchiques ; l’aigle la tête tournée sur le côté est l’emblème de Napoléon III ; l’aigle à deux têtes du temps de l’Alsace territoire de l’empire Prusse de Guillaume II (1871 à 1918). 

Entre chaque utilisation annuelle, les moules anciens sont conservés au grenier. Ils y subissent les variations de températures qui les fragilisent en les fêlant. C’est pourquoi ils sont devenus rares et ne peuvent souvent plus être utilisés qu’en décoration.


Un gonflant essentiel

Sans levure, point de kougelopf. Elle est connue dès la très Haute Antiquité et utilisée pour réaliser des boissons fermentées ou du pain. En allemand, la levure se dit « Hefe » et pourrait expliquer la fin du nom du gâteau.

Au XVe siècle, la levure des brasseurs et les distillateurs de schnaps est vendue aux boulangeries comme sous-produit. Au XVIIIe siècle en Europe, différents types de levures apparaissent. On en utilise pour confectionner le kougelhopf.

Au XIXe siècle, on cherche à obtenir les premières levures chimiques. Elles émanent d’une réaction entre acides levants (lait aigre, vinaigre, jus de citron) et bicarbonate de soude. Mais elles sont trop amères et leur effet trop éphémère.

En 1850 se vend la première levure chimique contenant un nouvel acide : la crème de tartre issue des résidus de barils de vin. En 1891, Rudolf-Auguste Oetker la commercialise conditionnée en petits sachets ; succès immédiat. Le kougelhopf se cuisine depuis, selon le goût de chacun, avec de la levure boulangère ou de la poudre à lever. Mais la recette traditionnelle préfère la levure boulangère.


Des recettes très variées

Pendant longtemps il n’y a pas de recette standard du kougelhopf. À l’instar de la pâtisserie, il évolue avec la disponibilité des ingrédients figeant sa composition au XIXe siècle.

À l’origine, le kougelhopf est un dessert. La recette fixée par les livres de cuisine alsaciens est un mélange de farine, lait, œufs, beurre, raisins secs et levure parfois additionné de sucre dans la pâte, surmonté d’amandes, de noix, saupoudrées de sucre glace. La version apéritive salée contient des lardons.

Outre-Rhin, on cuit couramment dans les moules à kougelhopf, des biscuits qui n’ont rien de commun avec la recette alsacienne : génoises, marbrés etc. enrobés d’un glaçage au sucre ou au chocolat. Ils sont considérés cependant comme appartenant à la même famille et jouissent de la même affection.


Popularité allemande et autrichienne

Joseph II, empereur d’Autriche-Hongrie et frère de Marie-Antoinette, limite les dépenses à la cour et abolit tous les jours de gala, sauf le jour de l’an. Les membres de la cour, trouvant cette politique bien austère, compensent en dégustant des pâtisseries.

Le sucre de betterave exploité dès le début du XIXe siècle, moins cher que le sucre de canne, favorise la démocratisation et la consommation des gâteaux. Les recettes se répandent dans les livres de cuisine, passant des aristocrates aux bourgeois. Le « Gugelhupf » devient populaire dans les classes moyennes allemandes et autrichiennes à l’ère Biedermeier.


Gourmandise impériale

Fin XIXe siècle, l’impératrice Élisabeth d’Autriche (Sissi), supporte de moins en moins la cour. Faisant fi des convenances, elle s’en éloigne de plus en plus souvent.

Elle cherche une amie, une femme droite pour tenir compagnie à son empereur de mari, Franz Josef. Elle choisit Katharina Schratt, actrice triomphante au Burgtheater de Vienne et la présente dès 1885 à son mari.

Invitée par la famille impériale qui réside à Bad Ischl le semestre d’été, l’actrice séjourne dans la villa Felicitas qui prendra bientôt son nom. 

L’habitude est prise par Katharina et Franz Josef de se retrouver chaque jour entre 7h et 8h pour le petit déjeuner. Ils dégustent un Gugelhupf confectionné par Katharina qui tient la recette de sa mère.

Pour s’assurer que le Gugelhupf soit parfait, au cas où le sien serait raté, Katharina en confie la recette à la pâtisserie Ischl Zauner – encore active et réputée de nos jours-. Celle-ci assure la réussite du déjeuner en livrant à Katharina le plus beau des six que Ischl Zauner confectionne chaque jour.

Les rencontres autour du gâteau entre Katharina et Franz Joseph dureront jusqu’à la mort de l’empereur en 1916.


Un repas de fête

Rosh Hachana est un jour de fête où il est interdit de manger, de boire ou de fumer. Célébré dix jours, Yom Kippour clôt le jeûne avec des douceurs. Pour les Juifs viennois du XIXe siècle, le repas servi après le coucher du soleil se compose principalement, de café accompagné de Gugelhupf. Dans la famille de Felix Salten, auteur, journaliste et critique de théâtre, on le cuisine selon la recette de Katharina Schratt.


Une récompense

Au XIXe siècle, en Autriche, Georg Krenn, alors jeune chanteur à l’abbaye de Wilhering auprès du célèbre compositeur-organiste Anton Bruckner, raconte : Le Maître était tellement content de moi qu’il s’est penché et m’a embrassé sur le front. Le lendemain, il m’a emmené prendre un café dans le jardin de Präntner et m’a dit : « Parce que tu as si bien chanté, tu peux avoir du Gugelhupf ! »


La tour aux fous à Vienne

Construit en 1784 à Vienne, cet hôpital général est le premier bâtiment au monde destiné à accueillir les « malades mentaux ». Tirant de sa forme le surnom de « Gugelhupf », il abrite aujourd’hui une collection anatomo-pathologique. Par extension, l’usage de ce terme a été généralisé pour désigner les hôpitaux psychiatriques après 1866.


Popularité slave

Des Allemands venus de Souabe du Danube s’installent dans l’actuelle Serbie fin du XVIIIe siècle, en Voïvodine. Cette région est un melting-pot composé d’un mélange de nombreuses ethnies.

Les Allemands y introduisent le Gugelhupf dont la tradition se poursuit de nos jours avec le « Gugelhupefest » – Fête du kougelhopf – célébré chaque année le deuxième dimanche de juin à Sremci Karlovci en Serbie.


Objet de fête

Des fêtes du kougelhopf se sont tenues par le passé à Ribeauvillé (68) au mois de juin, à Bernardvillé (67) en juillet et à Saverne (67) en août. Surveillez les agendas festifs, ils se reproduiront peut-être !

D’ici là, rendez-vous dans vos cuisines pour confectionner votre kougelhopf préféré! Sinon, chez votre boulanger-pâtissier !


Pour aller plus loin

  • Musée du pain d’épices Lip
  • New Cookbook , Marx Rumpolt, 1581
  • Graz Cook and Artzney , Graz, 1688
  • Pomme grenade volontairement sautée du Samaritain chrétien , Eleonora Maria Rosalia de Liechtenstein, 1701 (recettes copiées du livre mentionné au-dessus)
  • Dernier livre de cuisine universel ou grand viennois, Anna Dorn, 1827
  • Livre de recettes autrichien, Anna Dorn, 1849
  • La cuisine de la classe moyenne. Nouveau livre de cuisine viennois pour chaque foyer, Anna Fink, Vienne, Moritz Stern, 1907, p. 507
  • Le grand livre de cuisine Sacher, Franz Maier-Bruck, Munich, Schuler, 1975, p. 543 et suiv.
  • Pâtisseries festives autrichiennes. Pain et viennoiseries à usage annuel et quotidien, Ernst Burgstaller, Linz, Trauner, 1983, p. 195
  • La cuisine des Pharaons, Pierre Tallet, Actes Sud

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