Euloge Schneider, légende de la Terreur

In memoriam

Dans le petit cimetière jouxtant l’église de Hohatzenheim (67) se trouve une tombe, dont l’épitaphe informe qu’ « ici reposent en Dieu Nicolas Blaise Gillotiné par Eulogius Schneider en 1793 sous le règne de la téreur. Schneider cette âme de boue fit mourir innocents un grand nombre d’honnêtes hommes de la Basse Alsace R.I.P Et son fils Nicolas Blaise percepteur des contributions indirectes décédé à Hohatzenheim en 1848 à l’âge de 84 ans ».

© Gallica – BNF

Les racines du mal

En 1648, le traité de Westphalie marque la fin de la Guerre de Trente Ans et l’entrée de territoires alsaciens dans le royaume français. Louis XIV y encourage alors catholicisme et conversions.

En 1790, l’Alsace accueille favorablement le mouvement révolutionnaire, mais refuse La Constitution civile du clergé. Ce décret institue une nouvelle Église constitutionnelle, contestée par le pape. Les membres du clergé qui prêtent serment sont désormais salariés de l’État et déclarés « constitutionnels ». Les prêtres non-jureurs sont réputés réfractaires. Mais l’Alsace reste fidèle à l’Église romaine, malgré les conflits générés par la coexistence des cultes catholiques et protestants.

À Paris, les membres de l’Assemblée législative attendent de Louis XVI, roi de France, qu’il se prononce pour ou contre la Révolution ; lui temporise, espérant voir la guerre éclater et son pouvoir, restauré.

En 1791, les alliés de Louis XVI, Frédéric-Guillaume II roi de Prusse, Léopold II empereur d’Autriche-Hongrie et frère de Marie-Antoinette, reine de France, ainsi que l’Électeur de Saxe exigent son retour sur le trône. Par ailleurs des princes allemands, dits Princes possessionnés, entendent conserver des fiefs sur le territoire alsacien. L’échec des âpres négociations engagées avec le gouvernement révolutionnaire français précipite la guerre déclarée par la France en 1792.

Les Alsaciens, attachés au maintien de leur dialecte, finissent par voir d’un mauvais œil les réformes centralisatrices imposées par le gouvernement révolutionnaire. En réaction, ils font bon accueil aux troupes Autrichiennes. En réponse, la France renforce son autorité et accentue la répression. On envoie à cet effet Louis Antoine Léon de Saint-Just et Philippe Le Bas à Strasbourg. Ils transforment le tribunal militaire en commission spéciale et révolutionnaire. Par peur des représailles républicaines, plus de 30 000 Alsaciens passent outre-Rhin dès 1793.


Le feu sous la braise

Euloge Schneider, né Allemand, est formé à la théologie chez les Franciscains à Bamberg. Il est ordonné prêtre, puis clerc séculier par autorisation papale. Influencé par des auteurs français contemporains, Euloge Schneider écrit. Et ses écrits, contestés par l’Eglise, lui valent d’être plusieurs fois ré-affecté. Embrassant progressivement la cause du mouvement révolutionnaire français, il arrive à Strasbourg en 1791. Il s’y radicalise, devient commissaire civil puis un accusateur public zélé qui abuse de son pouvoir, entouré de prêtres défroqués allemands partageant ses idées et ses méthodes.

Paris voit d’un mauvais oeil ces révolutionnaires germanophones. On missionne à Strasbourg quelques Jacobins pour y reprendre l’ascendant. Louis de Saint-Just en profite pour faire procéder à des arrestations dans l’entourage d’Euloge Schneider. Celui-ci, furieux, redoublant encore de zèle, se lance dans la Terreur et donne libre cours à son caractère impétueux, sa cruauté et son immoralité.


Prises de têtes

Sillonnant l’Alsace avec une guillotine posée sur une charrette, Euloge Schneider procède à des exécutions sommaires – une trentaine – parfois sur dénonciations. Il ordonne des déportations, humilie et condamne arbitrairement, au profit de son enrichissement personnel.

C’est ainsi qu’il se rend à Hohatzenheim au domicile de Nicolas Blaise. Celui-ci déjeunant, l’invite à partager son repas sans connaître le motif de sa visite. Maire démis de sa fonction par la Révolution, Nicolas Blaise a été dénoncé comme royaliste. Au dessert, servant un verre de vin à Euloge Schneider, celui-ci lui demande si son sang est aussi rouge que son vin puis lui annonce qu’il est venu prendre sa tête.

Nicolas Blaise est jugé à Strasbourg puis reconduit à Hohatzenheim, pour y être décapité. Ses délateurs, Jacob et son père Antoine Lobstein maire de Hohatzenheim, Thibaut Lichtenthaler et André Lobstein officiers municipaux, Eve et Marguerite Reeb, sont protestants. Antoine Lobstein a également dénoncé le successeur de Nicolas Blaise, Nicolas Schmitt, trouvant l’occasion de régler des comptes religieux : en 1687 l’église protestante de Hohatzenheim est dédiée aux catholiques, l’Alsace s’étant majoritairement convertie au catholicisme sous le règne de Louis XIV. Les protestants de Hohatzenheim doivent, depuis lors, se rendre à Mittelhausen, à environ une demie heure de marche, pour pratiquer leur culte.

On trouve également trace du périple meurtrier d’Euloge Schneider dans le cimetière d’Obernai où une stèle indique : « En l’honneur de l’honnête Dominicus Speiser, bourgeois et boulanger en ces lieux, qui, à l’âge de cinquante ans, avec un de ses concitoyens du nom de Johannes Freytrich, au temps de la terreur du tyran Elogius Schneider, a été la triste victime de sa religion sous le couperet assassin, ses enfants reconnaissants ont érigé ce monument.« 

Epfig conserve aussi, dans le cimetière de l’église Sainte Marguerite, un monument dressé à la mémoire du juge de paix, commandée par sa veuve : « Ici attend l’heure de la résurrection l’honorable Louis Armand Kuhn, 49 ans, juge de paix. La justice et la bonté ont imprégné sa vie, fidélité et inflexibilité ont marqué sa mort. Il mourut en holocauste par la folie meurtrière d’Eulogue Schneider. Il fut exécuté sur la place du marché d’Epfig le 11 Christmonat 1793. Suppliant à genoux il demanda grâce à ses bourreaux. Dans la douleur et par amour sa veuve inconsolable et ses deux enfants lui érigèrent ce monument. La paix de Dieu soit avec lui  « . 


Fin d’un homme, naissance d’un mythe

En novembre 1793, Schneider abjure l’état sacerdotal, épouse un mois plus tard, à Barr, une demoiselle Stamm qu’il déloge de chez son père à une heure du matin. Eulogius et Sara, carrosse découvert, accompagnés de six gardes républicains à cheval, parcourent à grands fracas la route entre Barr et Strasbourg où ils entrent au grand galop à deux heures du matin. St-Just et Lebas ordonnent son arrestation pour excès de faste et non respect du couvre-feu. Enfermé à la maison de Justice aux Ponts-Couverts, puis attaché à la guillotine sur la place d’Armes (actuelle place Kléber), il est finalement conduit à Paris où il est emprisonné à l’Abbaye et plus tard à La Force.
Le 1er avril 1794, Euloge Schneider, condamné à dix heures du matin par le tribunal révolutionnaire de Paris, est guillotiné à une heure de l’après-midi.

Depuis, Euloge Schneider hante l’Alsace comme le rapporte Jean Variot en 1919-1920 dans son livre « Légendes et traditions orales d’Alsace – Basse-Alsace  » :  » Parfois, la nuit, quand un orage menace, on voit s’avancer, sur la route de Mittelbergheim à Barr, un carrosse qui roule lentement. Si vous approchez, vous voyez que les chevaux ne sont que des squelettes et que le cocher tient à la main un large couteau. Le carrosse dégoutte de sang. À l’intérieur, un homme est assis, il tient sa tête sur ses genoux. Pour effrayer les passants attardés, il la leur tend par la portière. C’est Euloge Schneider, le grand massacreur de Strasbourg qui fit exécuter des milliers de personnes pendant la révolution. « 


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