Les bancs-reposoirs, sièges d’Empire

Les Alsaciens les connaissent et passent souvent à côté, sans plus y prêter attention tant ils font partie du paysage. Construits en grès rose, pierre emblématique de la région, ils ponctuent les routes du Bas-Rhin depuis le début du XIXe siècle.

Entre Vendenheim et Berstett © D’Alsace et d’ailleurs

Une pause bienvenue

Les chemins passent de la responsabilité des communes à celle du préfet en 1836. Les communaux relient les communes rurales, les cantonaux mènent à une ville ou à une route classée, les ruraux desservent les champs. Ce réseau ouvre progressivement les campagnes, favorisant la circulation des flux vers le marché hebdomadaire de chaque chef-lieu de canton et les foires annuelles de chaque bourg.

Les femmes marchent lourdement chargées, portant sur la tête les produits fermiers destinés à la vente. Elles protègent leur crâne en intercalant un coussinet rempli de son et de balles de blé, der Wisch, entre ceux-ci et leurs paniers. Les hommes vont, portant une hotte aux bretelles de cuir sur le dos.

Les bancs-reposoirs, de formes et de constructions variées, droits ou incurvés, offrent le long des chemins vicinaux (chemins reliant des hameaux, des villages), une halte ombragée soulageant voyageurs, piétons et cavaliers.

On pose sur le linteau supérieur sacoches, fagots, ou paniers de victuailles pendant que leurs propriétaires se reposent, assis sur la dalle inférieure. Les bornes latérales – il y en a ponctuellement – servent à poser les hottes, d’attaches pour les chevaux ou les ânes, ainsi que de marche-pied pour se remettre en selle.

© D’Alsace et d’ailleurs

Premier Empire

Pour célébrer le baptême du fils (dit Roi de Rome) de Napoléon Ier et de l’Impératrice Marie-Louise d’Autriche, Adrien Lezay-Marnésiapréfet du Bas-Rhindemande aux communes du département d’installer, à leurs frais, 125 Nabele Bänk (bancs de Napoléon). Face aux coûts engagés, quelques-unes tentent de se soustraire à cette obligation, argumentant de contraintes diverses.

Dans une lettre d’avril 1811 adressée aux municipalités, Adrien Lezay-Marnésia écrit : « La solennité du deux juin doit être marquée non seulement par l’allégresse universelle, mais encore par des monuments qui en éternisent le souvenir. Un de ceux que je veux généraliser dans le département est celui des Reposoirs placés le long des routes et chemins communaux pour la facilité des voyageurs et des cultivateurs qui portent les fardeaux. Prenez donc vos mesures, en sorte que de demie lieue en demie lieue, soit établi un reposoir en pierre d’ici aux fêtes célébrées pour la naissance du Roi de Rome. Il conviendra d’y ajouter un banc là où les ressources communales le permettront : derrière ces bancs seront plantés 4-5 arbres pour former des ombrages. Je verrai même volontiers établir des fontaines et abreuvoirs sur les points de routes éloignés des habitations. Il faut qu’un jour chacun se dise en se reposant sous ces ombrages, ou en se rafraîchissant à ces fontaines : nous le devons au Roi de Rome… Vous voudrez ainsi que moi, que dès l’entrée dans le département, chacun sache qu’il met le pied sur une terre hospitalière… »

La même initiative semble avoir été prise par le préfet Félix Desportes dans le Haut-Rhin ainsi que dans les régions de Landau et de Kehl alors dépendantes de la France, mais avec nettement moins de succès que dans le Bas-Rhin.


Second Empire

Auguste-César Westpréfet du Bas-Rhin, reprend en 1853 cette initiative, honorant aux frais du département, le mariage de Napoléon III avec Eugénie de Montijo « Au moment où tant de ressources se portent sur les chemins de fer, sur les magnifiques voies de commerce et de l’industrie, hâtons-nous de réaliser quelques progrès sur les voies modestes, plus spécialement destinées aux habitants des campagnes ». Les communes choisissent les emplacements et organisent le transport, la réalisation des bancs et la plantation des arbres.

Le préfet précise : « Les bancs reposoirs devront être établis de deux kilomètres en deux kilomètres sur tous les chemins vicinaux – chemins reliant les villages ou les hameaux ndla-. Ils se composeront de deux jambages de pierre massifs, surmontés d’un linteau (reposoirs pour les charges portées sur la tête) et abriteront la dalle inférieure servant de siège. Ils seront encadrés de quatre arbres. De part et d’autre seront plantées deux bornes qui pourront servir à la fois aux paysans pour déposer leurs hottes et aux cavaliers pour se remettre en selle ». 

L’année suivante il déclare au Conseil Général : « L’appel a été partout entendu. Les habitants ont transporté volontairement les pierres et les communes ont fourni les arbres, «  tilleuls, platanes, ou marronniers. Ces coûts partagés stimulent l’installation de 448 bancs dès 1854.

Suite à d’importantes inondations en septembre 1852, la digue des « hautes-eaux » du Rhin est surélevée. L’ingénieur en chef de la Navigation Rhénane peut avoir saisi à ce moment l’occasion d’installer des bancs-reposoirs du nord au sud de l’Alsace, le long de la digue – celle-ci appartenant à l’État – . Il ne resterait que 8 exemplaires des bancs du Haut-Rhin sur la cinquantaine estimée à l’origine.

Entre Vendenheim et Berstett © D’Alsace et d’ailleurs

Postérité

Les guerres successives, la construction du Grand canal d’Alsace modifiant une fois encore le niveau de la digue, le vandalisme, l’abandon et les accidents de voiture contribuent à la disparition progressive de ces monuments. En 1954, le préfet Paul Demange demande la restauration des derniers bancs-reposoirs. On les estime à 200 exemplaires de nos jours, désormais classés aux Monuments historiques.
Voici une liste alphabétique non exhaustive des communes où trouver ces « ruahi banks »  – bancs reposoirs -, à compléter au gré de vos promenades :

Bas-Rhin : Adamswiller, Allenwiller, Altenheim, Altorf, Avolsheim, Berstett, Bischholtz, Bouxwiller, Brumath, Cleebourg, Climbach, Dauendorf, Dorlisheim, Erstein, Froeschwiller, Gambsheim, Geiswiller, Goersdorf, Gries, Harskirchen, Hunspach, Hohfrankenheim, Knoersheim, Kutzenhausen, La Petite-Pierre, Lochwiller, Lupstein, Marmoutier, Morsbronn-les-bains, Munschhausen, Niedermodern, Nordhouse, Ottwiller, Reichsoffen, Roeschwoog, Rothbach, Salenthal, Sarrewerden, Schillersdorf, Sélestat, Struth, Surbourg, Uttwiller, Westhouse-Marmoutier, Valff, Vendenheim, Weyer, Wissembourg, Wiwersheim, Woerth, Wolfartshoffen, Wolfskirchen, …

Haut-Rhin : Chalampé, Geisswasser, Nambsheim, Ottmarsheim…


Pour aller plus loin

  • Adrien de Lezay-Marnésia, un préfet d’exception à Strasbourg de 1810 à 1814, Bucher Fabienne, in Annuaire des Amis du Vieux-Strasbourg, n° XXXV de 2010
  • Monuments et sites napoléoniens, Bonnel Yves, Gérard Ulrich, illustrations Claudine Martz, éditions DNA, Strasbourg, 1988
  • Les petits monuments napoléoniens en Alsace, Bonnel Yves, 1986
  • Récapitulation, situation et état des bancs du 1er Empire dans le Bas-Rhin, Rolland Pierre, 2014
  • L’agriculture en Alsace sous l’administration du préfet Lezay-Marnésia, Veyre Marius, Strasbourg, 1964. « Napoléon et Lezay-Marnésia, deux bicentenaires », in Saisons d’Alsace, n°29, 1969
  • Trésors d’Alsace Les Bancs-Reposoirs Napoléoniens, Eban, Aquarelles, La Broque, 2001
  • In « Mi Dorf », revue de Blodelsheim, Goetz Henri, article pages 27-28, 2011
  • Les campagnes en France au XIXe s., Gavignaux G., éditions Ophrys, 2004 page 66

2 réflexions sur “Les bancs-reposoirs, sièges d’Empire

  • 4 avril 2022 à 8 h 02 min
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    Bonjour,
    Je me permet de vous signaler une faute de français en tête de ce site. En effet, on ne dit pas :
    « Le magazine encré….. », mais on doit écrire :  » le magazine ancré…. » !
    Le site est intéressant d’autre part, mais cette correction y contribuera encore un peu plus.
    Cordialement.
    Jean-Pierre BERNARD – Correspondant de presse – Sélestat.

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    • 2 janvier 2023 à 21 h 36 min
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      Bonjour, cette orthographe est une licence poétique signifiant que je trempe ma plume dans le terroir-encrier, autrement, l’erreur serait grossière en effet.

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