Les châteaux du Windstein, des Hohenstaufen au Roi soleil – Bas-Rhin

Les châteaux des Vieux et Nouveau Windstein surplombent le petit bourg du même nom, niché dans les Vosges du Nord. Autrefois enjeux stratégiques des Hohenstaufen en quête d’assise dans le bassin rhénan, les forteresses aujourd’hui ruinées se visitent, buts d’une jolie promenade.

© Corinne Longhi © D’Alsace et d’ailleurs

Les Hohenstaufen en Alsace

L’histoire des châteaux du Windstein est étroitement corrélée à celle de la dynastie Hohenstaufen, ancrée un siècle durant en Alsace, particulièrement à Haguenau et alentours.

Frédéric « le Borgne »

Blason Hohenstaufen – abbatiale Sainte Walburge – Walbourg, Bas-Rhin © Corinne Longhi © D’Alsace et d’ailleurs

À la mort de son père en 1105, Frédéric II de Staufen devient duc de Souabe. Il soutien d’Henri V empereur des Romains contre le pape dont il détruit les châteaux de ses partisans : à Eguisheim et au mont Sainte-Odile, couvent compris.

Puis il assied son pouvoir et celui des empereurs dans le bassin rhénan en ordonnant la construction de plusieurs forteresses castrales au nord de Strasbourg : Fleckenstein, Wasigenstein, Windstein, Falkenstein… et au sud, à Obernai, à Kintzheim (actuelle volerie des aigles), au Haut-Koenigsbourg (sur une terre appartenant à un autre)… Ce qui fait dire de lui que : « le Borgne traînait toujours un château à la queue de son cheval ».

Bâtissant également sa gloire, il troque son nom « Büren » contre « Hohenstaufen » et s’offre, vers 1115, un palais fortifié sur l’île de la Moder, à côté d’un campement militaire, prémices de la ville de Haguenau (Bas-Rhin). 

Château des Hohenstaufen à Haguenau au XVIIe siècle@ Bibliothèque nationale et universitaire de Strasbourg
Blason issu des anciens sceaux du temps de Haguenau ville impériale libre au XIIIe siècle – D’azur à la quintefeuille d’argent boutonnée de gueules – abbatiale Sainte Walburge – Walbourg, Bas-Rhin © Corinne Longhi © D’Alsace et d’ailleurs

Sa première épouse, Judith de Bavière, fille d’Henri IX de Bavière dit « le Noir », donne, en 1122, naissance à un fils lui aussi nommé Frédéric, futur « Barberousse ».

Les efforts de Frédéric Hohenstaufen pour devenir empereur sont vains : à la mort du roi des Romains en 1123, son beau-père Henri IX, duc de Bavière, fait élire contre lui, Lothaire, duc de Saxe. Henri et Lothaire, anciens ennemis, se sont entendus pour unir leurs fils et fille.

Furieux, Frédéric répudie sa femme, Judith de Bavière, et se remarie avec Agnès de Sarrebrück.

En 1127, lors d’une bataille, Frédéric, éborgné, gagne son surnom.

Poursuivant son rêve de couronne, il fortifie le duché de Souabe et d’Alsace. En 1138 il parvient à faire élire son frère Conrad Roi des Romains, préparant avec succès, pour ses descendants, l’accès au trône impérial.

Frédéric « le Borgne » repose à Walbourg (Bas-Rhin) dans l’abbatiale Sainte Walburge, où sont également enterrées ses deux épouses.

Abbatiale Sainte Walburge – Walbourg, Bas-Rhin © Corinne Longhi © D’Alsace et d’ailleurs

Frédéric Hohenstaufen dit « Barberousse »

Frédéric Barberousse et ses fils, le roi Henri à gauche, le duc Frédéric à droite – Chronique des Guelfes – Abbaye de Weingarten – © Wikipedia

Élu et couronné roi en 1152 à l’âge de trente ans, Frédéric dit Barberousse rétablit les privilèges de l’Église et la suzeraineté de l’empire. Habile négociateur, né de parents issus de clans ennemis : Hohenstaufen et Welf, on le considère à même de pacifier l’empire.

1255 sacré empereur à Rome dans la basilique Saint-Pierre, il combat les Romains qui ont enlevé le pape et le libère. Mais son soutien s’arrête là.

Son premier mariage sans enfant est annulé en 1153. En 1156, il épouse Béatrice de Bourgogne réputée belle et intelligente. Elle a onze ans, Frédéric, trente-quatre. De leur mariage nait une dizaine d’enfants, dont le premier vers 1161. Frédéric Barberousse et Béatrice sont sacrés roi et reine de Bourgogne en 1178.

Mariage de Frédéric Barberousse et Béatrice de Bourgogne – Jean- Baptiste Tiepolo – Londres, National Gallery © Wikipedia

Frédéric Barberousse renforce le pouvoir impérial et son armée noble. Il contraint la noblesse italienne à verser un impôt qui finance des mercenaires.

Parallèlement, il engage une propagande contre le pape dont la mort et l’élection de son successeur provoquent un schisme dans lequel Frédéric Barberousse, malgré ses manœuvres, connaît plusieurs échecs politiques.

En quête du pouvoir absolu, il fait adouber ses fils Henri et Frédéric en 1184 à Mayence, provoquant un rassemblement historique de plus de 40 000 grands chevaliers.

Sous son règne, à Haguenau, la résidence de chasse de son père devient palais impérial.

Palais de la Pfalz de Haguenau – © Bibliothèque nationale et universitaire de Strasbourg
Photo Charles Winter – © Bibliothèque nationale et universitaire de Strasbourg

Henri VI Hohenstaufen « le Cruel » ou le « Sévère »

Henri VI Hohenstaufen – Codex Manesse – © Wikipedia

Sacré roi en 1169, Henri VI se marie en 1186 avec la fille de Roger II, roi de Sicile.

Son père, Frédéric Barberousse, se réconcilie avec un ancien ennemi, Guillaume II de Sicile et ex-soutien du pape.

Henri VI, régent pendant la troisième croisade où son père Frédéric Barberousse laisse sa vie, prend sa succession en 1190.

La même année, Guillaume II de Sicile meurt à trente-cinq ans sans descendants. Un bâtard de Roger II de Sicile, Tancrède de Lecce, se fait élire.

Henri VI, sitôt sacré empereur germanique et frustré de sa prétention au trône sicilien, assiège vainement Naples. Sa femme y est enlevée et livrée à Tancrède. Elle parvient à s’échapper et à rejoindre son mari en Allemagne.

Henri XII de Bavière, dit « le Lion », rompant le traité de paix de Fulda mis en place par l’empereur Henri VI Hohenstaufen, attaque les ducs de Saxe et de Holstein. De nombreux princes se liguent contre lui. Un événement inattendu met un terme à cet épisode : de retour de croisade et capturé par un duc allemand, Richard Cœur de Lion, beau-frère d’Henri XII de Bavière, est livré à Henri VI Hohenstaufen. Il en profite pour réclamer une rançon qui selon les sources serait d’environ 100 000 marcs d’argent, soit trente-quatre à trente-cinq tonnes de métal et dont la valeur représenterait, dit-on, deux années de recette du royaume d’Angleterre. Après un procès à Haguenau, dix-huits mois de captivité dans le château de Dürnstein en Autriche et un premier versement scellant la « réconciliation », Richard Cœur de Lion est libéré en 1194.  

Comparution de Richard Cœur de Lion devant l’empereur Henri VI à Haguenau en 1193 – vitrail de Léo Schnug – Musée historique de Haguenau – © Wikipédia

À la mort de Tancrède, Henri VI se fait sacrer roi de Sicile. Dans la foulée, il émascule et énuclée Guillaume le fils de Tancrède et condamne à la réclusion à perpétuité tous les membres de la famille de Lecce. Pour finir, il fait décapiter les dépouilles de Tancrède et de son fils Roger. Puis, il brûle vifs nobles et religieux ayant participé au sacre de Tancrède.  


Déclin

Deux successeurs s’affrontent violemment : Philippe de Souabe, frère d’Henri VI de Hohenstaufen, duc de Souabe et d’Alsace, et le Welf Otton IV de Brunswick.

Le pape Innocent III désigne Otton IV de Brunswick, roi d’Allemagne, avec le soutien des princes de l’Église – dont l’évêque de Strasbourg -, du duc de Bohème, d’Adalbert II d’Eguisheim. De plus, il excommunie Philippe Hohenstaufen et ses partisans.

Adalbert II d’Eguisheim détruit le Haut-Koenigsbourg, fief Hohenstaufen.

Otton Hohenstaufen, frère de Philippe et duc de Bourgogne, piège et tue Ulrich de Ferrette, parent des Dabo-Eguisheim et s’approprie le château de Hunebourg. Philippe incendie le château de Guirbaden des Dabo-Eguisheim et le Haldenburg à Mundolsheim propriété de l’évêque de Strasbourg. Il assiège Strasbourg jusqu’à la capitulation de l’évêque.

Soutenu par le roi de France Philippe II Auguste, le pape couronne empereur Philippe de Hohenstaufen en 1198.

Otton de Hohenstaufen restaure le Haut-Koenigsburg, fait construire les châteaux du Landsberg et du Rathsamhausen et s’empare du Windstein.

Pour limiter le pouvoir de l’évêque, Philippe de Hohenstaufen accorde à la ville de Strasbourg l’immediateté d’empire, c’est à dire une sujétion directe à l’empereur, sans aucun seigneur intermédiaire.

Les Dabo-Eguisheim se protègent en édifiant le Hohnack et le Bernstein et restaurent le Guirbaden.

L’assassinat en 1208 de Philippe de Hohenstaufen est suivi de plusieurs attaques contre les châteaux Hohenstaufen.

Otton IV de Brunswick s’empare de Haguenau, négocie avec le pape pour se faire sacrer empereur, ce qu’il réussit, mais déçoit ses soutiens, les princes Allemands.

Trahi, le pape se tourne vers Frédéric II de Hohenstaufen, fils de Henri IV et soutenu par le roi de France Philippe II Auguste qui écrase Otton IV à Bouvines, pourtant allié à l’Anglais Jean Sans Terre.

Bataille de Bouvines – Enluminure des Grandes Chroniques de France – bibliothèque municipale de Castres, BM 0003, folio 282 verso – © Wikipédia

Frédéric II est élu roi en 1215 et couronné empereur en 1226. Intellectuel polyglotte, doté d’une rare ouverture d’esprit pour son époque et tout autant capable de cruauté, il est excommunié deux fois par le pape qui le dépose en 1245. Il meurt en 1250 sur fond de prémices de guerre civile, sa descendance désormais évincée du trône, la dynastie s’éteint.


Les Windstein

Les Hohenstaufen acquièrent la forêt de Haguenau après 1235. Leurs fiefs sont administrés par des ministériaux qui passent progressivement d’un statut d’esclaves à celui de seigneurs. Le rayonnement de la dynastie profite aux cités de la Décapole, alliances de dix villes libres alsaciennes et impériales, dont Haguenau. À la chute des Hohenstaufen, les ministériaux s’emparent des châteaux anciens fiefs impériaux.

Le Vieux Windstein

Vue du rocher du Vieux Windstein côté basse-cour © Corinne Longhi © D’Alsace et d’ailleurs

Partiellement troglodyte, le château se dresse sur un banc gréseux à plus de 410 mètres d’altitude, on le doit, dit-on, à l’abbé Pierre de Neubourg, abbaye cistercienne établie en 1133 à une dizaine de kilomètres au nord-ouest de Haguenau. 

Le château est élevé par les Ziedeler pour surveiller la route entre Pirmasens (Rhénanie- Palatinat) et Bouxwiller (Bas-Rhin) dans la vallée de la Zinselbach, rivière coulant entre Alsace et Moselle.

Il dépend de la principauté épiscopale de Strasbourg dont il protège les intérêts contre celle de Metz. Les Ziedeler, avoués et ministériels des Hohenstaufen, sont liés à la famille des Windstein.

Le château, probablement usurpé, « aream super rupe Windstein », « le site au-dessus des rochers de Windstein », est mentionné pour la première fois en 1205 dans la chronique Wurdtwein, Nova subsidia diplomatica. Le ministériel Henri de Windstein et ses fils rendent hommage au roi Philippe, fils de Henri IV de Souabe Hohenstaufen.

© Corinne Longhi © D’Alsace et d’ailleurs

En 1245, quand Frédéric II Hohenstaufen est déposé par le pape, les Windstein, opportunistes, se rallient à l’évêque de Strasbourg lui-même partisan de l’anti-roi Henri Raspe.

Le château est fractionné lors d’un partage familial entre les sires de Sickingen et et Schmalenstein pendant le Grand-Interrègne : entre 1250 et 1273 le trône impérial est vacant. Les nouveaux propriétaires augmentent une faille du rocher pour mieux séparer le nouveau donjon de l’ancien. Leurs défenses se faisant face témoignent du climat hostile régnant entre les familles…

En 1269, les troupes de l’évêque de Strasbourg, Henri IV de Geroldseck, et de la Ville envahissent le Vieux-Windstein, aidées par le Wildgrave – comte forestier – Emich de Froensbourg et ses neveux Louis et Simon.

En 1291, parce qu’ils sont de la famille des Windstein, Henri de Ramstein, Walter de Mietesheim, Frédéric et Seman de Wasigenstein et Walter de Falkenstein, se portent garants pour libérer Henri de Windstein incarcéré par le Duc de Lorraine dans le château de Bitche (Moselle).

La lumière filtre à travers l’une des pièces troglodytes du château © Corinne Longhi © D’Alsace et d’ailleurs

En 1307, les brigands Walther et Volmar de Geudertheim (Bas-Rhin), retiennent prisonniers des bourgeois strasbourgeois au Vieux-Windstein. La Ville de Strasbourg exige de la Ville de Haguenau de les faire libérer. En 1309, l’évêque Jean de Lichtenberg fait alliance avec la Ville de Strasbourg contre Walther et Volmar de Geudertheim. Les troupes strasbourgeoises envahissent le château.

Plus tard, en 1332, on monte quatre machines de siège au Windstein. Pilonné jour et nuit, au bout de dix semaines une brèche est ouverte dans la basse-cour. Bien que les occupants soient à court de provisions, ils résistent. De guerre lasse, l’évêque achète des défenseurs, pour pénétrer dans le château dont il ordonne la destruction et en interdit la reconstruction. Mais Louis dit  » le Sévère « , duc de Bavière et comte palatin du Rhin, le fait relever par les Landgrave, princes allemands : l’Empire en possède encore une part.  

Suite à cet épisode, Guillaume de Windstein fera édifier, sur le versant sud, un second château nommé Nouveau-Windstein dont il fait oblation à l’Eglise de Spire.

En 1358, l’empereur Charles IV de Luxembourg demande à la Ville de Strasbourg d’apporter aide et soutien aux comtes d’Oettingen qui possèdent le château nommé « Vesten Wynstein ».

Une paix castrale est finalement signée en 1385 avec les ducs de Bavière et les comtes palatins, copropriétaires des lieux.

© Corinne Longhi © D’Alsace et d’ailleurs

Le Vieux Windstein passe ensuite partiellement aux comtes palatins et aux Eckbrecht de Durckheim. Ces derniers acquièrent les droits sur les deux châteaux.

À nouveau refuge de brigands en 1412, le Vieux-Windstein est successivement pris par le comte de Linange en 1425 puis détruit par le duc de Lorraine en 1515.

Encore utilisé au XVIIe siècle durant la Guerre de Trente-Ans, il est définitivement ruiné par les troupes françaises en 1676.

© Corinne Longhi © D’Alsace et d’ailleurs

Le Nouveau Windstein

Proposition de reconstitution par Ralf Meier add-z.de

Lié au Vieux-Windstein et au Mittel-Windstein, on le suppose à l’origine construit de bois au XIIIe siècle, puis agrandi par Guillaume de Windstein en 1339.

À l’extinction du lignage Windstein, plusieurs propriétaires se succèdent dont les Lichtenberg, les Linange-Leiningen et les Eckbrecht de Durckheim du Palatinat voisin.

Vue de la pièce troglodytique vers le rez-de-chaussée © Corinne Longhi © D’Alsace et d’ailleurs

En 1494, le Nouveau Windstein est restauré et adapté aux nouvelles pièces d’artillerie. Cependant, deux siècles plus tard, en 1676, sa défense n’est plus adaptée; il est lui aussi ruiné par les troupes du roi Soleil. L’Alsace devient française.

Les De Diectrich acquièrent la ruine au XIXe siècle, sur fond de mode romantique.

Il est restauré entre 1982 et 1983, inscrit aux monuments historiques en 1983, puis consolidé entre 1985 et 1987.

Le Groupement Forestier Vosges Nord, appartenant aux De Turckheim, achète le domaine forestier en 1999.

Depuis 2003, les bénévoles « Les veilleurs du Nouveau-Windstein » entretiennent, sécurisent et valorisent la château.


Le Nouveaux Windstein est le sujet de thèse de Thomas Biller. Il a également été étudié par Bernhard Metz et Maurice Frey.


Pour aller plus loin

error: Contenu protégé.